L'un des trésors dont j'ai hérité de ma grand-mère « Nanny » à son décès était le livre « Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry. Une belle édition en français de 1946 avec des illustrations originales. Cet exemplaire que je possède a été lu, à ma connaissance, par au moins 5 générations de ma famille (y compris mes filles) dans sa langue originale.
Ce petit livre de moins d'une centaine de pages est le quatrième livre le plus traduit de l'histoire ; il a été traduit dans quelque 250 langues et plus de deux millions d'exemplaires sont vendus chaque année. En France, il a été désigné comme le meilleur livre du XXe siècle.
Et là, la question inévitable se pose : qu'y a-t-il de si extraordinaire dans ce livre, écrit sous forme de conte pour enfants ?
Après y avoir réfléchi pendant des semaines, j'ai réalisé que Le Petit Prince touche le cœur du lecteur parce qu'il aborde magistralement deux aspirations humaines insatiables :
La première : le désir de préserver l'imagination et l'innocence de notre propre enfance. L'enfance a quelque chose de magique que nous perdons avec le temps. Nous cessons de rêver d'être pompier ou astronaute, nous arrêtons de jouer à la toupie et aux billes, notre vélo n'est plus un véhicule rapide et l'arbre du parc n'est plus un vaisseau vers d'autres mondes dans l'espace. Nous laissons derrière nous l'époque où une petite amie était une note écrite ou un message à un ami. L'époque où nos « pourquoi » ne laissaient jamais les adultes tranquilles. Grandir devient finalement le lent meurtre de l'enfant que nous étions tous autrefois. L'innocence pure est perdue, laissant place à l'égoïsme, à l'envie, à l'arrogance et bien plus encore. Grandir, en un sens, est tragique.
Dans le processus de maturation humaine, un jour, nous réalisons qu'il est temps d'aller aux funérailles de l'enfant que nous étions autrefois. Il nous a simplement quittés un jour sans dire au revoir, sans que nous nous en rendions compte.
La deuxième aspiration du Petit Prince est le désir profond de l'homme d'atteindre l'immortalité. Finalement, le petit prince rencontre un serpent jaune, un de ceux qui « tuent en moins de trente secondes ». « As-tu un bon poison ? Es-tu sûr que je ne souffrirai pas longtemps ? » demanda le Petit Prince. Finalement, le venin du serpent deviendra son billet pour « rentrer chez lui », sur l'astéroïde B 612 avec sa rose, ses volcans, ses levers de soleil et ses moutons. Et il prévient : « J'aurai l'air mort, mais tu te tromperas en le croyant. Je ne ferai que dormir. Je serai comme une coquille vide ». Et ainsi, presque silencieusement, le petit prince s'effondra sur le sable doux…
« Le lendemain, raconte Antoine, je me suis consolé… mais pas complètement. Car je sais bien qu'il est retourné sur sa planète, car je n'ai pas retrouvé son corps sur le sable. »
Parmi les nombreuses fois où je me souviens avoir lu l'histoire étant enfant, je ne me souviens pas avoir ressenti de l'angoisse ou de la nostalgie. Après tout, le Petit Prince est bien retourné sur sa planète, avec sa fleur, son mouton et ses levers de soleil ! Mais maintenant, en tant qu'adulte, mon esprit et ma raison me disent qu'il a en fait été mordu par un serpent venimeux. Le Petit Prince est sans aucun doute mort… C'est ce qui arrive quand une vipère venimeuse vous frappe.
Au fond de nous, nous voulons continuer à penser comme des enfants. Il semble y avoir un certain rapport entre l'éternité et l'enfance que nous perdons au fil des années. Et je crois que ce rapport est très réel et c'est pourquoi ce livre a touché le cœur de tant de personnes. Au fond de notre âme, nous avons un désir et une soif de choses éternelles, à commencer par notre propre vie…
Un autre grand écrivain, C.S. Lewis, a également identifié cette relation, du moins en partie :
« Si je trouve en moi un désir que ce monde ne peut satisfaire, une explication plus probable est que j'ai été conçu pour un autre monde. » [1]
Si je crois que cette relation entre l'enfance et l'éternité est vraie, c'est parce que plusieurs siècles avant Antoine de Saint-Exupéry, une autre figure historique a parlé de cette même relation :
« Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » Luc 18:16-17.
Bien que l'histoire du Petit Prince soit merveilleuse, elle ne nous apprend rien de nouveau. Jésus, le « Logos », a dit quelque chose de similaire il y a plus de 2000 ans. Le succès du Petit Prince est dû au fait qu'il est trop proche du désir humain de survivre, de transcender les étoiles et de pouvoir se moquer de la mort et retourner à nos origines innocentes. Nous le désirons tous.
« Si je trouve en moi un désir que ce monde ne peut satisfaire, la meilleure explication est sûrement que j'ai été conçu pour un autre monde. »
La différence entre Jésus et Saint-Exupéry est que ce dernier a simplement su intégrer ce désir inné dans une histoire fictive d'une manière simple et facile à comprendre, presque sans que nous nous rendions compte de ce désir profond. Cependant, c'est Jésus qui, « au commencement », a placé ce désir dans l'âme humaine. Jésus n'est pas seulement à l'origine de l'histoire, il est aussi l'auteur du désir lui-même ! Et ici, ce que je suggère est très simple : peut-être qu'être comme un enfant et courir dans Ses bras est ce qu'il faut faire afin de libérer l'éternité que nous portons ligotée dans le cachot de notre cœur. Il a dit : « Celui qui croit en moi a la vie éternelle » (Jean 6:47).
« Il fait toute chose belle en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité… » Ecclésiaste 3:11.
1. CS Lewis, Mere Christianity (San Francisco : Harper San Francisco Publishers, 2001), 136-137. ↩